Mardi - 19 Mars 2024

Nathalie Amiel / Educatrice sportive à Capestang


Le jour où les Dieux du Rugby décidèrent que leur sport ne serait désormais plus réservé uniquement aux hommes, ils firent une longue halte à Capestang, pour se pencher de très près sur le berceau de Nathalie…

Ils lui confièrent d’abord la mission de prouver que les femmes pouvaient parfois mieux jouer que les hommes… Ce qui, pour certains, pouvait sembler être une gageure. Puis, alors qu’elle n’avait pas encore 16 ans, ils firent d’elle une internationale promise à un palmarès des plus élogieux. Conquise par le talent de la Française, la presse britannique n’hésitera pas à la désigner « meilleure joueuse du monde » et, reconnaissance suprême, l’IRB la fera entrer dans le prestigieux « Hall of Fame », haut lieu de la renommée rugbystique qui honore les plus grands talents mondiaux du rugby à XV… Nathalie, tu es la 88ème personnalité, et la première femme !, à être entrée dans ce « Temple du Rugby », alors… Respect, chapeau bas et… Un grand merci à toi !

 

Envoyez un message à Nathalie Amiel

 

Bonjour Nathalie, entre le rugby et toi, ça a commencé quand et où ?

panneau capestangC’était en 1982, j’avais 12 ans, et ma mère avait vu dans la presse que le Stade Féminin Narbonnais était à la recherche de pratiquantes. Je ne suis pas véritablement née dans une famille de rugbymen, même si l’aîné de mes 3 frères avait joué un peu (par contre, c’est moi qui un peu plus tard vais amener mon frère cadet à pratiquer ce sport…).

Selon les dirigeants du club, j’étais trop jeune pour commencer, mais ma mère les a tellement convaincus de m’accepter quand même à l’entraînement, qu’ils ont finalement cédé… Et à la fin de ce premier « essai », c’est Jean-Pierre Olive et Jean-Pierre Sarganelle, qui nous entraînaient, qui ont insisté pour me garder… J’avais réussi mon examen de passage !

J’ai poussé à Capestang, et, très rapidement, j’ai aussi intégré en parallèle l’école de rugby de mon village, où, cette fois, je suis allée jouer avec les garçons… C’était la première année que les filles y étaient autorisées. Mon éducateur à l’époque était Jean-François Alary, qui a œuvré pendant 35 ans comme éducateur sportif territorial de l’école de rugby et des écoles primaire et maternelle de Capestang… Poste auquel je lui ai succédé il y a quelques années quand il a pris sa retraite !


Capestang, Hérault (34)


J’ai bien sûr tout de suite accroché au rugby… A Capestang, on parlait rugby, on « mangeait » rugby, et pour moi, pratiquer ce sport m’est très vite apparu comme quelque chose de « naturel ». J’ai vraiment tout de suite adoré… A tel point que je ne me suis par la suite jamais posée la question de savoir si je voulais faire autre chose.

Très vite, j’ai donc eu une activité rugbystique très soutenue dans mon quotidien, puisque, outre bien sûr les entraînements pendant la semaine, je jouais le samedi avec les garçons de Capestang en Minimes, et le
panneau narbonnedimanche avec les filles de Narbonne en Seniors, 
chez lesquelles, à cause de mon très jeune âge, j’étais surclassée pour pouvoir jouer avec elles… A l’époque, la réglementation le permettait !

 

Dès lors, quelle a été ta route sur la Planète Rugby ?

masque

Je débute mon parcours par une anecdote assez drôle, et qui retrace bien, je crois, le contexte dans lequel les pionnières comme moi du rugby féminin évoluaient il y a une trentaine d’année. A l’époque, les sélections régionales « Jeunes » exclusivement pour les filles n’existaient pas. En théorie, Il était cependant possible pour une fille de concourir dans les Sélections garçons, mais disons que ce n’était pas vraiment encore entré dans les mœurs, et finalement peu de monde le savait… Ou voulait le savoir ! Mais grâce à Jean-François Alary, qui m’avait inscrite, j’ai participé à des matchs de sélection Minimes du Languedoc, au poste de n°6…

A l’issue des matchs, Olivier Saïsset, alors responsable de la Sélection Languedoc, et qui, comme beaucoup à l’époque, n’était pas forcément « pro-rugbywomen », dit à Jean-François : « Le 6, je le veux ! », et mon entraîneur lui répond : « Eh bien, comment vas-tu faire ??… C’est une fille !! ». C’est quelque chose dont je me souviendrai toujours et qui m’a beaucoup marquée : à la fin des matchs, Olivier nous avait fait asseoir dans les vestiaires, et en s’adressant au groupe, il nous a dit : « Aujourd’hui, nous avons appris comment on joue au rugby… Et c’est une fille qui nous l’a appris ! ».

 

1989 - Les filles du Stade Narbonnais en compagnie de Claude Spanghero… Nathalie est la 4ème joueuse debout en partant de la droite

1989 – Les filles du Stade Narbonnais en compagnie de Claude Spanghero… Nathalie est la 4ème joueuse debout en partant de la droite

logo saint orensAu total, je vais faire 10 saisons au Stade Féminin Narbonnais, avec qui je gagnerai la Coupe de France en 91, avant de partir sur Toulouse et de signer à Saint Orens. J’évoluerai également 10 ans sous les couleurs du Saint-Orens Rugby Féminin, avec qui je fêterai un titre de Championnes de France en 1993, et jouerai 3 autres finales du Championnat. Et ce sera sous les couleurs de ce club qu’en 2002, à 32 ans, je mettrai un terme à ma carrière de joueuse.

Nathalie médaille coupe du monde 2002 barcelone

Nathalie et la médaille de bronze de la Coupe du Monde 2002

J’ai la particularité d’avoir été internationale très jeune, car je n’avais pas encore 16 ans lors de ma 1ère Sélection (on avait d’ailleurs dû faire une dérogation pour que je puisse jouer), et au total, de 1986 à 2002, je vais porter 56 fois le maillot de l’Equipe de France, essentiellement au poste de 3ème ligne aile. J’ai eu la chance de participer à 3 Coupes du Monde: au Pays de Galles en 91, en Ecosse en 94, et en Espagne en 2002 (nous finirons 3èmes lors de ces 3 compétitions)… Je n’ai pas participé à celle de 98, car c’est à cette époque que j’ai donné naissance à mon fils aîné, Quentin. Je compte également 4 titres de Championnes d’Europe (88, 96, 99 et 2000), et j’aurai le bonheur suprême de réaliser un Grand Chelem pour mon dernier Tournoi des 6 Nations, en 2002.

 

Après avoir raccroché les crampons en 2002, j’entame une carrière d’entraîneur.

Je passe alors mes brevets d’Etat (notamment mon BE2 en compagnie entre autres de Franck Azema, Philippe Rougé-Thomas et Philippe Bénetton), et j’entraîne les filles de Saint Orens jusqu’en 2006. Je pars ensuite entraîner l’équipe Seniors masculine de Quint-Fonsegrives, un club de Haute-Garonne qui évolue alors en Séries, et avec qui je resterai jusqu’en 2012.

 

logo mairie capestangEn puis en 2012, j’ai une proposition de la mairie de Capestang pour venir m’occuper de l’école de rugby de Capestang Puisserguier, et enseigner le sport à l’école primaire en tant qu’éducatrice sportive, pour y remplacer Jean-François Alary. logo avenir bleu et blancDepuis 3 ans, je n’entraîne donc plus « directement » une équipe de club, mais je suis bien sûr en contact régulier avec tous les éducateurs et entraîneurs du club local, « l’Avenir Bleu & Blanc », qui regroupe les villages de Capestang, Puisserguier et Quarante, et qui évolue en Fédérale 3.

 

Parallèlement à mes postes d’entraîneur en club, j’ai été sollicitée en 2006 par Jean-Claude Skrela et Bernard Lapasset pour entraîner l’Equipe de France A Féminine, avec Gérald Bastide. Puis à partir de 2009, j’entraîne le XV de France Féminin en compagnie de Christian Galonnier, jusqu’en 2014. Durant cette période nous avons terminé 4ème de la Coupe du Monde 2010 (en Angleterre), 3ème de la Coupe du Monde 2014 (à Paris), et réalisé le Grand Chelem lors du Tournoi des 6 Nations 2014.

Vivre ces moments forts avec l’Equipe de France Féminine a été globalement une expérience très riche pour moi, dans laquelle j’ai appris beaucoup de choses. Dans ce genre d’aventure, compte tenu des responsabilités que tu as, tu vis forcément des moments intenses car les enjeux du haut niveau sont bien présents… Tu fais de belles rencontres, France Féminineset parfois d’autres qui te laissent un souvenir moins impérissable… Ca fait partie de la fonction, et aujourd’hui, j’essaie de ne garder que le côté positif !

 

Tu te souviens forcément de ta 1ère Sélection Nationale, tu peux nous raconter ? Et au-delà, peux-tu nous confier 2 ou 3 « très grands moments » que tu as vécus grâce au rugby ?

Big Ben with city buses and flag of England, LondonOui, bien sûr, je me souviens très bien de ma 1ère Sélection en Equipe de France ! J’avais 15 ans et ½, et je n’étais tellement pas habituée à ce genre de situation, que j’ai préparé mon sac comme si j’allais à l’entraînement, en y mettant mon short, mon maillot, mes chaussettes, mes crampons… J’avais du mal à réaliser que je partais jouer un match avec l’Equipe de France, à Londres, contre l’Angleterre… Un match très engagé, que nous avons gagné, pas de beaucoup, mais on l’a gagné ! A l’heure de ma « 1ère Marseillaise » sous le maillot de l’Equipe de France, j’étais très émue, et je me souviens qu’à cet instant précis, j’ai pensé à mon grand-père…

Parmi les « grands moments » que j’ai connus durant ma carrière internationale en tant que joueuse, il y a un qui m’a également profondément émue… C’était lors du Grand Chelem qu’on réalise pendant le Tournoi des 6 Nations de 2002 (on était alors entraînées par Daniel Dupouy)… Le dernier match du Tournoi, contre l’Irlande… Il était prévu que des parachutistes nous amènent par les airs le ballon au moment du coup d’envoi. Mais la météo s’en étant mêlée, le vent avait rendu l’opération impossible. En solution de « remplacement », c’est un gamin qui a été désigné pour venir apporter ce ballon aux 2 capitaines au centre du terrain… J’étais la capitaine Enfant et parachutedu XV de France, et ce petit gamin que j’ai vu partir de la tribune officielle et se rapprocher de moi, maillot de l’Equipe de France sur le dos, pour m’apporter le ballon du match, c’était… Quentin, mon fils, qui avait 4 ans à l’époque ! Je vivais là mon dernier match international, mon dernier Tournoi des VI Nations, et j’étais bien sûr extrêmement émue quand j’ai touché ce ballon et embrassé mon garçon… Ce match, pour tout un tas de raisons, dont celle-là, on ne pouvait donc pas le perdre… Et on l’a gagné !

Un autre grand souvenir que je souhaite évoquer, c’est, en tant qu’entraîneur cette fois, en 2014, un match à Grenoble, gagné contre les Anglaises. Une rencontre extrêmement dure, autant physiquement que mentalement, et dure dans l’émotion aussi, qui nous a ouvert en grand la porte du Grand Chelem. Ce jour là, le public grenoblois a vraiment porté les Françaises, qui ont réalisé le match qu’il fallait.

 

Le rugby féminin est en train de se développer à vitesse « grand V » et on voit fleurir un peu partout des sections féminines… Comment la pionnière que tu es vit-elle ce phénomène ?

Nathalie, quand elle jouait à Saint-Orens...

Nathalie, quand elle jouait à Saint-Orens…

Bien sûr, ce phénomène me ravit ! On a très longtemps vécu avec l’idée d’un sport très dur, voire dangereux, par référence au rugby masculin de haut niveau, mais aujourd’hui, les gens ont pris conscience que la pratique féminine, elle, n’était pas forcément dangereuse, et qu’il est possible pour les filles de pratiquer le même sport, mais différemment, et en y prenant beaucoup de plaisir !

Les grandes « différences » entre rugby masculin et féminin, c’est que déjà, nous allons moins vite que les garçons, et comme nous sommes moins gaillardes physiquement, les contacts (le rugby reste quand même un sport de combat !) sont forcément moins traumatisants. Les filles ne cherchent pas systématiquement l’affrontement, elles recherchent plus l’évitement. Egalement, nous utilisons moins souvent que les garçons le jeu au pied, et préférons jouer le ballon… Ce qui fait que le public retrouve un peu plus avec nous les grandes envolées qu’il a connues à l’époque des Philippe Sella, coupe du monde rugby femininSerge Blanco, Philippe Saint-André, etc… Du coup, le rugby féminin est sans doute plus ouvert et « esthétique » que son homologue masculin… Ca entretient un peu la nostalgie du « rugby d’avant », mais je crois que c’est ce qui explique en partie l’engouement que l’on constate en France, et qui a été largement amplifié par la Coupe du Monde 2014 à Paris.

 

Tu vis à Capestang, dans l’Hérault, à quelques encablures de Béziers… Si tu étais nommée Ambassadrice de ton pays (ce que tu es, compte tenu de ton parcours), quels seraient tes arguments pour nous convaincre de le visiter ?

Collégiale Saint-Etienne à Capestang…

Collégiale Saint-Etienne à Capestang…

Capestang, dont le nom vient du « cap de l’étang », est un village de 3.000 habitants qui est connu, entres autres, par sa Collégiale Saint-Étienne, une église du 14ème siècle classée au titre des monuments historiques de France, et par le Château des Archevêques de Narbonne (dit également « château de Capestang »), un édifice médiéval lui aussi du 14ème siècle.

… Et le Canal du Midi, qui borde la commune

… Et le Canal du Midi, qui borde la commune

Notre commune est bordée par le Canal du Midi, et son chemin de halage offre de magnifiques ballades à pied ou à vélo. Capestang est très animé… Il y a toujours des marchés, des brocantes, et beaucoup d’activités qui sont proposées aux nombreux touristes qui nous arrivent soit par la route, soit en accostant au bord du canal, au port de Capestang.

A 10 kms de chez nous, en direction de Béziers, tu pourras également aller visiter l’oppidum d’Ensérune, un site archéologique qui recèle les vestiges d’un village antique, situé sur une colline de Nissan-lez-Enserune, depuis laquelle tu as une vue panoramique sur une partie de Béziers et de Narbonne.

 

 

Et donc, quand on viendra te voir, en débarquant du Canal du Midi, on ira déjeuner où ?

Je crois que la plus ancienne et la meilleure adresse que j’ai pour aller manger, c’est d’abord celle de ma mère ! Quand je veux déguster un bon cassoulet, ou une bonne choucroute, ou que sais-je encore, je m’invite chez elle… Elle sait tout faire !

Et comme en général il faut rester plusieurs jours pour bien saisir la vie locale Capestanaise, nous irons aussi manger sur la place de Capestang, au cœur du village, à « La Grille », chez Pascal et Jean-Michel… Un de mes maillots de l’Equipe de France est d’ailleurs exposé chez eux.

 

Daniel Dupouy, ancien sélectionneur du XV de France, t’a fait la passe depuis Tarnos pour que tu rejoignes la « Mêlée Puissance 15 »… A qui transmets-tu le ballon à ton tour ?

D’abord je remercie Daniel, avec qui j’ai partagé de belles épopées lorsqu’il coachait l’Equipe de France. Et puis, pour faire vivre le ballon qu’il m’a offert, j’ai beaucoup réfléchi, car bien sûr j’ai beaucoup de monde à qui faire la passe…

Mais quand je parle de mon village à l’extérieur, je pense souvent à quelqu’un qui ne mérite pas qu’on l’oublie… C’est Stéphane Palatan. Stéphane est natif de Capestang, et il est aujourd’hui viticulteur à Lieuran-lès-Béziers… C’est aussi un ancien Champion du Monde, avec les Juniors Français, en 92, à Barcelone… Une génération de joueurs coachée par Jean-Pierre Puidebois, et dans laquelle, on retrouvait, entre autres, Fabien Pelous, Olivier Magne, etc… . Quand il était jeune, il a réalisé un rêve qu’il avait, c’était de jouer avec Philippe Sella à Agen… Mais malheureusement, une blessure l’a ensuite contraint d’interrompre sa carrière. Très souvent, quand je parle de rugby, je parle de Stéphane, parce que c’est le seul Champion du Monde du village… Ca force le respect, et je suis très heureuse de lui envoyer le ballon « Puissance 15 » !

Et puis, je vais bien sûr également adresser une passe à l’attention du club de mon village de Capestang, « l’Avenir Bleu et Blanc », et vais confier la mission à Benjamin Cros, joueur emblématique et éducateur à l’école de rugby, de te parler de l’ABB XV, qui évolue en Fédérale 3.


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Site Internet de l’Avenir Bleu & Blanc


ICONE-CREDITSInterview : Frédéric Poulet
Photos : Photo “Une” et photos “rugby” de Nathalie : Archives Nathalie, Droits Réservés / Canal du Midi : NA / Collégiale Saint-Etienne : Fotolia 53656260 / Bus Londres : Fotolia 41680143 / Enfant parachute : Fotolia 75181354 / Masque : Fotolia 79704063

 


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