Mardi - 19 Mars 2024

Hédi Souid / L’envol berrichon d’un Aigle de Carthage…


Un jour, les Dieux du Rugby dirent à Mourad : « Tu es un Aigle et tu vas prendre ton petit frère Hédi sous ton aile pour le guider sur la Planète Ovale »…

Alors « Mourad-le-Grand » prit la voiture de son père et posa « Hédi-le-Petit » devant l’entrée du Stade de Vierzon. Quand Hédi poussa la porte du portail pour aller voir ce qui se passait de l’autre côté, Éric l’attendait pour lui inculquer d’une main de maître les valeurs d’un pilier qu’il élèvera à la « Vierzonnaise à l’Ancienne ». Plus tard, alors que tout semblait perdu, deux bonnes étoiles lui permettront de soulever le bois avec les Reichel et les Espoirs de l’ASM… suffisant pour tomber définitivement amoureux-fou de l’Auvergne ! Et puis c’est quand il portera les couleurs du Montluçon Rugby qu’Hédi, alors à l’apogée de son art, rejoindra Mourad et l’aire des Aigles de Carthage, dont il prendra le commandement à plusieurs reprises pour aller sur les pas de Tahar… Merci Hédi !

 

Bonjour Hédi… que faisais-tu donc ce mercredi après-midi de 1993, errant seul devant le portail du Stade Constant Duval de Vierzon ?

Mourad, mon grand frère, venait de me poser là après m’avoir dit : « Vas-y… tu verras, tu te présentes, tu dis que tu es le petit frère de Mourad… Tu vas t’entraîner avec les gamins, et je reviens te chercher ce soir ».

 

C’est comme ça que tu es rentré dans le Rugby ?

Oui… Alors que je suis tranquillement en train de m’amuser en ce début d’après-midi avec mes copains dans mon quartier, Mourad, qui vient tout juste d’avoir 18 ans et son permis, me donne un sac et m’embarque dans la 504 break de mon père, direction… le Stade de Rugby ! Le frangin, qui était un colosse et jouait déjà en Première au S.A. Vierzon, m’a posé devant ce grand portail blanc d’une façon assez expéditive, mais je sais qu’il l’a fait avec beaucoup d’affection pour moi. C’était sa façon à lui de me dire : « Allez petit frère, à ton tour maintenant, et tu verras, tu vas adorer ça… ». Moi je n’étais pas trop rassuré, j’avais 10 ans et je n’avais jamais fait de Rugby de ma vie !

 

Blason de Saint-Amand-Montrond

Tu es donc Berrichon ?

C’est ça ! je suis né à Saint-Amand-Montrond, dans le Cher, d’une maman Française, Martine et d’un papa Tunisien, Tahar. À partir de 4 ans, j’ai poussé à Vierzon, à 75 kilomètres plus au nord du département. Je suis le troisième enfant d’une fratrie de neuf… des profils plutôt sportifs : Mourad, le grand frère, a fait toute sa carrière à Vierzon et a arrêté le Rugby à 40 ans… un taulier du club ! Deux de mes frères, Nabil et Bilel, ont joué au Stade Poitevin Rugby, et Ryadh, un autre de mes frères, est handballeur professionnel à Pontault-Combault et international Tunisien. Chez les Souid, on est plutôt taillés pour jouer devant. Quand je suis rentré en 6ème, j’étais déjà aussi grand que les 3èmes, voire plus gaillards qu’eux, et j’ai frisé le quintal dès mes 14-15 ans.

 

 

Vierzon, Cher (18)


 

J’imagine que tu ne restes pas tout l’après-midi scotché devant ce foutu portail ?

Je suis assez intimidé et pas très à l’aise, mais j’entre dans le stade et je débarque comme un cheveu sur la soupe à l’École de Rugby du S.A. Vierzon, un club à l’ancienne avec des vestiaires peints en « Bleu & Blanc ». Je ne connais ni les éducateurs, ni les gamins, qui me regardent tous d’un air un peu bizarre parce que je mesure une tête ou deux de plus qu’eux. Je n’ai même pas de vraies affaires de Rugby, que des baskets pour courir… Mais à partir du moment où je dis les mots magiques : « Bonjour, je suis le petit frère de Mourad… », ce nouveau monde, a priori hostile, devient tout à coup beaucoup plus rassurant et bienveillant pour moi…

 

Hédi (le plus grand au 1er plan) avec ses premiers copains du S.A. Vierzon

Il se passe comment ce premier entraînement ?

À un moment donné, voyant que je ne sais pas trop quoi faire ni comment me positionner dans le jeu, l’entraîneur me montre l’autre extrémité du terrain et me dit : « Bon ben Hédi… Tu prends le ballon, et tu vas marquer là-bas ». Alors je fais comme il me dit : je prends le ballon dans mes mains, je cours comme un dératé, personne n’arrive à me stopper, et je marque… le premier essai de ma carrière ! À la fin de ce premier entraînement, André Fiette, un dirigeant de l’École de Rugby, m’annonce : « On participe à un tournoi départemental dans 15 jours… il faut absolument que tu sois là ! ».

 

Finalement, ça te plaît cette découverte et cette ambiance « Rugby » ?

Carrément ! A tel point que je vais même faire toutes les catégories Jeunes sous le maillot « Bleu & Blanc » du S.A. Vierzon. On me fait tout de suite confiance et je me lie d’amitié avec tous ces gars… tous de bons mecs, venant de contextes sociaux différents, certains de la ville, d’autres de la campagne, d’autres comme moi des quartiers… Très vite, je me rends compte de la chance que m’offre le Rugby de rencontrer ces copains tous si différents et avec qui j’apprends à partager au fil du temps « le sang et la sueur » sur le terrain, et la fraternité en dehors. Même si aujourd’hui j’en ai perdu de vue un grand nombre, je me souviens très bien de quelques-uns de mes potes d’alors, comme Jérôme Olivier, notre n°10, que je trouvais particulièrement excellent, ou encore Jean-Christophe Besse, alias « Toto », notre n°9, un demi-de-mêlée doté d’un mental de « 9ème avant ».

Hédi (2ème joueur debout à gauche) avec les Minimes Vierzonnais

 

À partir de quand le Rugby va-t-il prendre une dimension encore plus importante pour toi ?

C’est à partir de mon arrivée en Juniors que les choses deviennent plus sérieuses pour moi. Nous sommes entraînés par Frédéric Beauvais et Éric Main (lui et son frère Thierry sont des figures du Rugby Vierzonnais), un pilier droit formé à l’ancienne, très dur sur le terrain et très exigeant avec ceux qu’il a entraînés, mais très dévoué à son club et avec un cœur gros comme ça. Éric m’a en quelque sorte pris sous son aile, et il s’occupe beaucoup de moi pour que je puisse participer aux entraînements, dans un contexte où je suis soumis à beaucoup de contraintes logistiques. Trouvant que j’ai peut-être des potentialités pour ce poste, il me forme en pilier droit. Il croit en moi, m’apprend énormément d’un point de vue technique et mental et me donne confiance en mes moyens… Je lui serai toujours très reconnaissant de l’investissement qu’il a placé en moi à l’époque et qui me sera très utile tout au long de ma carrière.

 

Retrouvailles avec Jérôme Olivier, l’ex Capitaine Balandrade d’Hédi au S.A.Vierzon

Et pourtant, à l’issue de cette saison au sein des Juniors Balandrade, tu vas devoir affronter une très mauvaise nouvelle…

On fait une super saison en Balandrade, pour la première fois de l’histoire du club, on va en ¼ de finale du Championnat de France… Bien que stoppés par Suresnes, c’était pour nous comme si on avait gagné la Coupe du Monde !

Malheureusement, je contracte ensuite une hernie lombaire très sévère qui me coince le nerf sciatique et le nerf crural… Après des examens passés à l’hôpital de Vierzon et à celui de Tours, on m’annonce qu’une opération serait trop périlleuse. Le verdict des médecins que je rencontre tombe et semble irrévocable… Je dois arrêter le Rugby !

 

Le Rugby s’arrête-t-il vraiment pour toi ?

C’est ce que je crois, avant que le destin en décide autrement suite à une discussion que j’ai avec Jean Balsan, un grand amateur de Rugby qui venait nous voir jouer régulièrement et qui m’appréciait bien comme joueur. Je lui explique que les médecins me disent que je suis cuit pour le Rugby, et il me dit : « Hédi, il ne faut pas que tu arrêtes… je vais t’emmener voir le Professeur Jean-François Elberg à Paris, tu verras c’est quelqu’un d’extraordinaire, un humaniste, je ne serais pas étonné qu’il puisse te remettre en état ».

Même si l’opération est délicate, le Docteur Elberg m’assure quand je le vois que je pourrai rejouer, en effet, quelques longs mois plus tard et après beaucoup d’efforts et de rééducation, je vais rejouer. Jean Balsan et Jean-François Elberg sont pour moi deux bonnes étoiles que je ne remercierai jamais assez.

 

 

Tu remets ça avec le S.A. Vierzon alors ?

Non car juste avant mon opération, j’avais reçu un appel de l’AS Clermont-Ferrand qui me proposait de rejoindre son groupe Reichel… Je leur avais dit que ça allait forcément être compliqué, compte tenu de mon état. En fait, quand j’avais reçu ce coup de fil, j’avais cru à une blague des copains.

Quelques semaines plus tard, alors que je pensais qu’ils m’avaient oublié, les Clermontois me recontactent. Et à ma grande surprise, me voilà recruté par l’ASM, alors que je ne suis pas encore opérationnel pour rejouer. En fait, j’avais été repéré dans les sélections Top Jeunes 100 et cette année-là Clermont avait fait un énorme effort de recrutement dans ce vivier de jeunes potentiellement prometteurs, comme Rémy Vaquin, Romain Carmignani, Yoann Dessemme, Pierre-Édouard Perrin, et plein d’autres encore… Et moi, blessé, je me retrouve au milieu de tout ce beau monde !

 

Donc tu prends la route, direction Clermont et l’Auvergne…

Et comme dix ans avant lorsqu’il m’avait posé devant le Stade de Vierzon, c’est encore Mourad qui m’amène au Centre de Formation de Clermont, qui allait devenir mon nouveau lieu de vie. Mon premier interlocuteur là-bas est Claude Arnaud qui était chargé de faciliter notre intégration au sein du club et de tout ce qui avait trait à la scolarité. C’est une personne qui m’a été d’une aide précieuse pour mon arrivée sur cette nouvelle planète.

 

Ça n’a pas dû être facile de débarquer au Centre de Formation Clermontois en étant blessé…

Mes débuts sont en effet un peu particuliers et difficiles à gérer car je quitte mon petit confort Vierzonnais et me retrouve au milieu de beaucoup de cadors de ma génération, alors que moi… je suis blessé. Pendant les premiers mois, mes journées consistent à aller voir les kinés deux fois par jour… En fait, je crois que très peu de personnes croyaient à mon retour.

Je me souviens qu’au moment des premières pesées, voyant que j’ai 20 kilos en trop, on me dit : « Ça va être difficile, mais il va falloir que tu les perdes en 4 mois ». J’ai répondu que je les perdrai en moins de temps que ça… J’ai travaillé comme un forcené sous les directives de super kinés, Mathieu Vidalin et Pierre Delasvaux, qui croyaient en moi et j’y suis arrivé.

 

Hédi avec Thomas Faure… une amitié née il y a bien longtemps à l’ASM !

Te voilà donc à nouveau sur le terrain, au milieu des Reichels Clermontois… Comment vis-tu cette reprise ?

Au départ, je partage ma chambre avec un footballeur mais ça ne dure pas très longtemps car les communautarismes « Foot » et « Rugby » prennent vite le dessus. Dès mes débuts au Centre, je me lie d’amitié avec Thomas Faure, un Auvergnat pur souche, talonneur de son état, très calme, très discret… un super joueur de Rugby, avec qui j’aurai le bonheur de rejouer plus tard à Montluçon.

Après avoir obtenu l’aval du Professeur Elberg certifiant que je pouvais reprendre du service, j’ai effectivement pu commencer à renouer avec le terrain. Je suis alors extrêmement bien entouré par l’ensemble du staff et c’est là que je prends pleine conscience que l’ASM, c’est beaucoup plus qu’un club… C’est un lieu humaniste qui fait énormément pour les siens. L’ASM m’a fait confiance, m’a soigné, m’a remis en selle… ce club, c’est ma deuxième famille !

Rétabli, je reprends donc les entraînements et le premier match que je fais avec les Reichels Clermontois se joue contre le Racing, en lever de rideau au Stade Marcel Michelin… Je suis remplaçant et je rentre pour le dernier quart d’heure. C’est pour moi un moment magique et d’une intensité émotionnelle énorme. Déjà dans le vestiaire, en enfilant ce maillot pour la première fois après les longs mois de dur labeur que je viens de vivre pour pouvoir l’honorer, j’ai les larmes aux yeux. Je ne peux m’empêcher de repenser que quelques mois avant j’étais censé être cuit pour le Rugby, et là, j’enfilais cet emblématique maillot de l’ASM… ce club prestigieux qui comptait alors dans ses rangs les Olivier Magne, David Bory, Tony Marsh… pour ne citer qu’eux. Je vivais un moment tout juste extraordinaire… j’étais fier. D’autant plus que ce jour-là, on passe 98 points au Racing, alors tu penses si je m’en souviens !

2004… Hédi (en blond juste derrière le bouclier!) est Champion de France avec les Reichel de l’ASM

 

Après ce début prometteur, que vas-tu vivre de fort sous le maillot de l’ASM ?

Au final, je vais rester six saisons à l’ASM, avec de belles émotions à la clé. Pour ma dernière année Reichel (2003-2004), nous sommes Champions de France en étant invaincus tout au long de la saison… 22 matchs de Championnat… 22 victoires, et on gagne la finale à Mende contre Montpellier. C’est la belle histoire d’un groupe de gamins entraînés par Philippe Marocco et Bruno Bournel, parmi lesquels figurent entre autres Anthony Floch, Julien Malzieu, Alexandre Bastin, Mathieu Badel, Samuel Saugues, Mirko Lozupon, Vincent Roux… et tous les autres ! Je fais partie des quelques rares qui n’ont pas eu de sélections en Équipe de France Jeunes, mais je suis bien là à la pile, du haut de mes 1 mètre 83 et de mes 108 kilos… Que du bonheur !

Quand je monte en Espoirs, on perd en 1/8ème de finale contre Montpellier… Par contre la saison suivante (2005-2006) … rebelote… on est à nouveau Champions de France en battant Brive à Ussel, dans un stade archi-comble, avec dans nos rangs de précieux renforts issus de générations plus jeunes, comme Thomas Domingo, Thomas Combezou, Loïc Jacquet, Christophe Samson, Pierre-Gilles Lakafia… une sacrée équipe ! On est alors entraînés par Samuel Cherouk (l’entraîneur actuel du XV de France Féminin) et Fabrice Ribeyrolles. On s’était promis d’être Champions de France pour Adrien Chalmin, victime d’un grave accident de Rugby en début de saison, et on a tenu notre promesse en lui dédiant le titre.

… Et re-belote en 2006… les Espoirs Montferrandais sont Champions de France!

Il y avait aussi Romain Martial dans ce groupe, et je me souviens d’un fait très précis à son sujet : On joue notre ¼ de finale contre le Stade Toulousain sur le terrain de Maurs, dans le Cantal, et ce jour-là Romain marque un essai sensationnel en bout de ligne. Il y a peu de temps, alors que je me retrouve sur ce même terrain de Maurs, j’emmène ma fille dans l’en-but et lui montre l’endroit exact où Romain avait aplati l’essai victorieux… Je lui ai envoyé la photo en live pour partager à nouveau avec lui ce magnifique souvenir.

 

Deux titres de Champion de France avec l’ASM… Chapeau bas ! Quelle vie continues-tu de vivre ensuite avec les Jaunards?

Je n’ai pas de contrat pro mais je suis pensionnaire du Centre de Formation Élite du club jusqu’en 2006, ce qui me donne droit à m’entraîner régulièrement avec l’Équipe Pro. Compte tenu de ma propre histoire, se retrouver à des entraînements dirigés par Olivier Saisset au milieu de quelques-uns des meilleurs joueurs du monde du moment comme Tony Marsh, Brock James, Davit Zirakashvili, Stéphane Jones, Olivier Magne, David Bory, Alessandro Troncon, Aurélien Rougerie, Jamie Cudmore, Martin Scelzo etc… Je peux te dire qu’il est content de vivre ça le « petit Vierzonnais »!

2005 : Hédi (en bas à gauche) est au Centre de Formation Élite de l’ASM

 

Mais sur la durée, le Centre de Formation Élite ne s’avère finalement pas concluant pour moi… je suis en concurrence avec beaucoup de piliers, meilleurs que moi. Bien sûr, il y a le plan de la pure performance sportive de cette expérience, sur lequel je ne suis malheureusement pas arrivé à passer le cap pour aller plus loin avec Clermont, mais vraiment, avec le recul, je ne regrette rien… Le plus important, c’est que l’ASM a fait de moi un homme. Au-delà du sportif, ce club, grâce à son organisation minutieuse et à son formidable esprit de famille, m’a permis de relever un sacré challenge, celui de rejouer. Certes, je n’aurai jamais eu l’honneur de fouler le Michelin avec le maillot de l’Équipe Pro sur le dos mais j’ai quand même eu le grand bonheur de faire partie d’une aventure humaine et sportive exceptionnelle…

 

Et alors… Il se passe quoi pour toi après ?

Comme je suis tombé amoureux fou de cette belle région Auvergne et que je suis devenu papa très jeune, à 22 ans, je ne veux pas trop m’éloigner de Clermont-Ferrand. Montluçon, qui me permet aussi d’être à 45 minutes de Saint-Amand-Montrond, mon berceau familial, monte tout juste en Fédérale 1 et me propose un beau projet coaché par Philippe Marocco… Tout cela me semble correspondre à un bon compromis aux niveaux sportif, personnel, logistique et humain… je m’engage donc avec le Montluçon Rugby. En fait, compte tenu de la relative proximité géographique des deux clubs, il y avait pas mal de joueurs qui après être passés par l’ASM, rejoignaient Montluçon, j’ai fait partie de ce mouvement.

 

Hédi (4ème en haut en partant de la gauche) va faire 10 saisons avec le maillot de Montluçon

 

Je vais jouer dix saisons à Montluçon, avec une première année (2006-2077) catastrophique puisqu’on redescend en Fédérale 2. Franchement, ça me fout un sacré coup car je n’étais vraiment pas venu pour me retrouver un étage plus bas… Mais j’aimais beaucoup Luc Roussillon, le Président, un homme qui m’avait fait confiance, et puis personnellement, j’estimais que je n’avais pas fait moi-même une saison des plus parfaites… Alors je me devais de renvoyer l’ascenseur à mon tour et je suis resté. Dès l’année suivante on joue les phases finales de Fédérale 2, on chute en 1/8ème contre le Stade Phocéen Marseille Vitrolles mais l’objectif est atteint… on remonte en Fédérale 1, niveau que je connaîtrai jusqu’à mon départ de Montluçon en 2016.

Hédi, un pilier qui aime le jeu! (La Montagne du 10/11/2012 – Photo Bernard Lorette)

 

Qu’apprends-tu à Montluçon ?

Ces années de Fédérale 1 sont très instructives pour moi… C’est un niveau très rude en réalité, et au début, comme je suis jeune et encore assez peu expérimenté à cet environnement, je reçois pas mal… C’est un peu plus tard, après 4 ou 5 saisons de Fédérale 1, que j’apprécie son jeu, une fois que j’ai suffisamment de « métier » derrière moi. Je garde de très de bons souvenirs de cette époque passée sous le maillot du Montluçon Rugby en compagnie de gars comme entre autres Yohann Vachelard (un joueur rude, comme la Lozère dont il est originaire), Siméon Geldenhuys, Guillaume Pszonak, mon vieux pote Thomas Faure qui nous avaient rejoints… et des entraîneurs comme Raphaël Chanal et Pierre Depoux qui m’ont fait confiance et m’ont vraiment relancé. J’ai beaucoup de respect pour Raphaël qui était entraîneur-joueur avant de devenir entraîneur principal. Je me souviens de quelques fois où on était en galère et où il est entré sur le terrain pour donner l’exemple… et c’était lui le meilleur !

 

2015 : Hédi (chaussures bleues !) en 1ère ligne à Montluçon (La Montagne du 25/04/2015 – Photo Bernard Lorette)

 

Montluçon m’a permis de jouer contre de beaux clubs comme Massy, Bourg-en-Bresse, Nevers, Vannes, Lille, Strasbourg, Dijon, Mâcon… Quand on jouait à domicile j’avais l’impression de jouer chez moi car je ne suis né à 40 kilomètres de là. J’avais beaucoup d’affection pour ce club, ses bénévoles, son public, même s’il était très exigeant et ne nous loupait pas quand on prenait des danses. On était toujours accompagnés par des minibus de supporters lors de nos déplacements, on mangeait ensemble le pâté aux patates sur l’autoroute et on partageait beaucoup avec eux. Nous les joueurs, bien que professionnels ou semi-professionnels, avions encore la chance de pouvoir vivre en même temps ces bons côtés du rugby amateur.

À 32 ans, je décide d’arrêter de jouer… J’aurais aimé pouvoir continuer encore un peu mais mon dos avait trop souffert et ça devenait trop dangereux pour moi.

 

En parallèle de ton épopée Montluçonnaise, tu as aussi l’honneur de porter plusieurs fois le maillot des « Aigles de Carthage »… Tu nous racontes ?

Hédi, Capitaine du XV Tunisien, présente « Les Aigles de Carthage » à Bill Beaumont, l’actuel Président de World Rugby

Mon père étant Tunisien, je bénéficie de la double nationalité française et tunisienne, ce qui explique que j’ai effectivement pu jouer sous le maillot du XV Tunisien.

Mes tous premiers rapports avec la Fédération Tunisienne de Rugby remontent au Championnat du Monde Juniors qui se sont déroulés au Chili en 2001. La Tunisie y avait été invitée et les dirigeants m’avaient contacté, mais un peu tard pour faire partie du voyage. Je n’ai malheureusement pas pu m’y rendre pour des raisons de délais administratifs et de constitution d’un passeport Tunisien.

Quelques années plus tard, alors que je suis à Montluçon, je suis appelé à nouveau pour jouer dans l’Équipe Nationale. Pour ma première sélection, je joue contre le Maroc, à Béja, ville du Nord-Ouest de la Tunisie. Je me souviens qu’en face de moi, il y a en première ligne Djalil Narjissi (à l’époque talonneur du S.U. Agen) et Mohamed Gouasmia (à l’époque pilier à Périgueux). C’était pour moi le baptême du feu et même si on a perdu, j’ai adoré ce moment car je jouais avec mon grand frère… Mourad poussait derrière moi en deuxième ligne, tout prêt à défendre le « petit » en cas de besoin.

Je suis à nouveau appelé par la suite quand le XV Tunisien est entraîné par Danie de Villiers, et je joue des matchs de Coupe d’Afrique, contre le Kenya, l’Ouganda, le Sénégal… . J’ai aussi eu l’immense honneur d’être le Capitaine des « Aigles de Carthage » (c’est le surnom de la Sélection Nationale Tunisienne) en 2009, pour les matchs de qualification à la Coupe du Monde 2011. On finit 2ème de la Zone Afrique, derrière la Namibie de Jacques Burger qui gagnera directement son billet pour aller en Nouvelle-Zélande.

 

Hédi, un pilier toujours joueur avec les Aigles… ici en fer de lance contre la Namibie

 

Que retiens-tu d’essentiel de cette expérience internationale avec le pays de ton père ?

Capitaine Hédi à l’écoute du coach Jaco Stoumann et de l’adjoint Mohamed Ali qui opère en direct la traduction “Anglais-Afrikaner-Français”!

Être appelé dans cette équipe et en avoir été le Capitaine a été une grande fierté pour moi. Certes, je suis né dans le Berry, je suis terriblement attaché à mon berceau natal dont j’ai l’intonation et dont je connais toutes les expressions locales… Grâce au Rugby, j’ai vraiment pris conscience, même si je le savais déjà bien sûr, que j’avais aussi un autre « berceau » … qu’une part de mes racines se trouvent aussi en Tunisie.

J’ai alors réalisé la richesse qui m’était donnée de pouvoir les découvrir. J’aime passionnément la France, le pays de ma mère, où j’ai grandi et j’aime aussi éperdument la Tunisie, le pays de mon père… Je me sens si bien là-bas aussi, et j’espère un jour, y amener mes enfants. C’est un sentiment vraiment très bizarre que j’ai vécu, très agréable et dont la révélation m’a été faite grâce au Rugby.

Le Berrichon que je suis a été particulièrement ému de porter sa main au cœur pendant l’Hymne Tunisien pour sa première sélection (pour toutes les autres aussi d’ailleurs !) … À cet instant-là j’ai juste été frustré de ne pas pouvoir chanter car je ne parle pas le Tunisien.

 

ICONE-VIDEOHymne National Tunisien… “Humat Al-Hima”

 

 

Quelle est la chose dont tu es le plus redevable au Rugby ?

Le Rugby dans son ensemble m’a bien sûr énormément appris, mais c’est surtout à travers le prisme de l’ASM que j’ai envie de répondre à cette question, tellement l’expérience que j’ai vécue avec ce club a été exceptionnelle pour moi… Au-delà de l’aspect sportif, l’ASM m’a façonné, il m’a permis d’avoir un cadre pour mes études et m’a fait prendre conscience de mes capacités, moi qui jusque-là n’avais pas foutu grand-chose à l’école. Il a exacerbé chez moi l’esprit de camaraderie, le dévouement, il m’a fait devenir fou amoureux de l’Auvergne. Le sentiment d’appartenance est extrêmement fort dans ce club et quand on est à l’extérieur, on a du mal à imaginer toute la ferveur qu’il suscite.

 

Côté Professionnel… quelle est ta formation, et que fais-tu aujourd’hui ?

Quand j’étais à l’ASM, j’ai passé un bac Commerce, et j’ai ensuite obtenu mon Brevet d’État d’Éducateur de Rugby. Et puis, après avoir terminé ma carrière de Rugbyman à Montluçon, j’ai eu une révélation, j’ai voulu devenir Aide-Soignant en maison de retraite. N’ayant pas de formation au départ dans ce domaine, je suis entré dans un EHPAD actuellement géré par l’Association Hospitalière Sainte-Marie, en tant qu’ASH (Agent de Service Hôtelier) dans un premier temps. Bénéficiant d’un parcours de formation, j’occupe aujourd’hui un poste de faisant fonction d’Aide-Soignant qui va me permettre d’obtenir le statut d’Aide-Soignant.

 

Qu’est-ce que tu aimes dans ce métier ?

J’ai trouvé dans l’Association Hospitalière Sainte-Marie et dans ce métier, des valeurs très voisines de celles que j’ai connues au Rugby. En l’occurrence, le sentiment d’appartenance à une association qui œuvre pour une mission commune en favorisant le bien-être des personnes dont nous nous occupons. Comme dans une équipe de Rugby, il y a des moments où tout va bien et d’autres où on est confronté à des coups durs parce que le public que nous accompagnons est un public fragile qui a besoin de beaucoup d’attention et d’entraide… Humainement, c’est une expérience très forte, faite d’énormément de partages et d’échanges avec les résidents et les collègues de travail.

On dit souvent que les rugbymen sont des guerriers mais je peux te dire que tous les personnels soignants sont eux aussi des « vaillantasses ». Je crois que le Rugby m’a particulièrement aguerri pour ce métier… Quand j’arrive au boulot et que je me mets en tenue, il m’arrive de ressentir la même impression et la même boule au ventre que j’ai eue pendant des années en enfilant mon maillot dans un vestiaire d’avant-match. Ça a particulièrement été le cas pendant la longue et difficile période du premier confinement que nous avons connue à cause de la Covid… Tous les matins j’allais au charbon avec mes collègues, comme au bon vieux temps où j’entrais en mêlée sur le pré.

 

Et maintenant que tu ne joues plus, comment occupes-tu tes temps de loisir ?

Hédi dans la campagne auvergnate qu’il affectionne de parcourir…

Je fais encore beaucoup de sport, un de mes passe-temps favori est de faire des randonnées et de courir en montagne, dès que mon genou me laisse tranquille. Je me balade souvent dans le Massif du Sancy ou sur la Chaîne des Puys dans le Parc Naturel Régional des Volcans d’Auvergne, il faut dire que la région est particulièrement propice à ce genre d’activités.

Je tiens aussi à profiter de l’occasion de ce portait « Puissance 15 » pour adresser un gros clin d’œil affectueux à mes trois enfants… mes deux fils, Mel, l’aîné, qui a 14 ans et pratique le judo et fait de la musique et Gabriel qui a 7 ans et pratique la natation… ainsi qu’à ma fille, Inès qui a 4 ans et va faire de la danse classique…

J’adresse aussi un grand merci particulier à « Mourad-mon-grand-frère » de m’avoir posé un jour devant le grand portail blanc du Stade Constant Duval à Vierzon, à ma grande sœur et mon beau-frère, qui habitent Clermont-Ferrand et m’ont été d’un grand soutien moral et matériel quand je suis arrivé gamin à l’ASM avec un statut de jeune joueur blessé ne sachant pas trop s’il allait pouvoir vraiment rejouer. À l’époque, Stéphanie, à qui je confiais beaucoup mes états d’âme, a toujours su trouver les mots justes pour m’aider à puiser le meilleur de moi-même, et Franck a toujours fait preuve de bienveillance à mon égard.

 

Il est d’usage de terminer un portait « Puissance 15 » en chanson ou en musique… Tu nous fais écouter quoi ?

En fait je suis un passionné de musique classique alors, je pourrais aller te chercher du Rachmaninov ou du Vivaldi… on rentrera dans cet univers musical particulier une autre fois. Mais pour rester quand même un peu sur des notes instrumentales, j’ai choisi de te faire écouter la musique des « Valseuses », composée en 1974 par Stéphane Grapelli pour le film bien connu de Bertrand Blier et ici interprétée par Laurent Korcia au violon et Jean-Efflam Bavouzet au piano…

 

ICONE-VIDEO« Les Valseuses »

 

 

Tu vois, je suis un ancien pilier qui aime écouter la musique classique et qui adore aussi la littérature… Je lis beaucoup… mais ça c’est une autre histoire ! Ça va sûrement en surprendre plus d’un d’apprendre tout ça car j’étais plutôt réputé pour être un joueur âpre et un tantinet caractériel, pas très adepte des chisteras et des feintes de passe… Un pilier élevé à la « Vierzonnaise à l’ancienne »… comme une empreinte indélébile qui m’a été transmise il y a bien longtemps par des gars comme Éric Main. À cette époque le Rugby n’était pas aseptisé comme il l’est hélas, devenu… avec les datas, les trucs, les statistiques, les machins où on veut et où on croit déjà tout savoir sur les adversaires avant de les avoir joués. Au passage, je crois que le Rugby a perdu un peu (voire beaucoup !) de son âme.

 

Puisque tu as évoqué ça… on les élevait comment les piliers à la « Vierzonnaise à l’ancienne » ?

C’est assez simple en fait : l’entraîneur te donnait ton maillot dans les vestiaires avec les larmes dans les yeux, en t’engueulant et en te disant « Hédi, y’a ton frère qu’est là ! »… Limite s’il ne te filait pas un coup de casque en même temps ! Et puis, après avoir fait un match énorme où tu t’étais défoncé et où tu pensais qu’il allait te féliciter, il te disait encore : « Non, t’es pas bon… t’es une merde ! ». Là, c’est sûr, on n’était pas dans l’aseptisé mais ça forgeait une âme de guerrier toujours sur le qui-vive, avec le respect de la parole donnée, le respect du maillot… Tout ça fait partie du patrimoine du Rugby, de son essence même et s’ils sont devenus des clichés avec le temps, je pense qu’il faut aussi savoir les préserver.

 

Et toi, maintenant, à qui fais-tu la passe « Puissance 15 » ?

Il y a des milliers de gens à qui je voudrais la faire mais je vais la proposer à Mokhtar Guetari. Mokhtar fait partie de l’équipe « Touche pas à mon poste ! » présentée par Cyril Hanouna. On a joué plusieurs fois ensemble en Sélection Nationale Tunisienne. Deuxième ligne, c’était un taulier du XV Tunisien. Quand mon frère Mourad n’était pas là, c’est lui qui me prenait sous son aile. Il joue toujours actuellement à Suresnes.

Mokhtar Guetari ici au milieu des frères Souid sous le maillot des Aigles de Carthage

 

Une toute dernière chose avant de te quitter Hédi… Si j’ai eu le plaisir de croiser ta route, c’est grâce à Philippe Donnat, un des dirigeants de la marque de cosmétiques « Zao Make Up », à qui j’ai eu l’occasion de présenter un jour mon blog « Puissance 15 ». Lui-même grand amateur de Rugby et amoureux de l’Auvergne, il m’a alors dit : « Tu devrais demander à Hédi Souid qu’il te raconte son histoire de Rugby… ». Tu lui dis quoi toi, à Philippe ?

D’abord, je le remercie sincèrement d’avoir eu cette pensée pour moi… Ça m’a beaucoup touché. Avec Philippe, on s’est connu en devenant voisins à Tallende, petite commune située au Sud de Clermont-Ferrand. Berceau de sa famille, Philippe est viscéralement attaché à son Auvergne et à son village natal. J’ai beaucoup d’affection pour ces personnes, amoureuses de leurs terroirs originels. Cela vient peut-être du fait que je suis moi-même le fruit de deux racines…

 

ICONE-CREDITS

Interview : Frédéric Poulet

Crédits Photos : Photos Rugby : archives personnelles de Hédi (crédits identifiés indiqués dans légendes des photos) / Blason Saint-Amand-Montrond : Wikipedia – Bruno Vallette – CC BY SA 3.0 / Ambulance : Pixabay.

Eu égard aux droits qui leur seraient associés, nous nous engageons à enlever les illustrations présentes dans cet article, sur simple demande de leurs auteurs.


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